Dernieres pensées
25 mai 2014Il est difficile d'évaluer l'impact que l'expérience qui se termine bientôt aura sur moi mais il est sûr qu'il sera profond à tous les aspects (entre autre, j'ai perdu une vingtaine de livres).
La Guinée est un pays difficile, le climat est dur: la chaleur, le soleil, la pluie… de plus, il y a de la poussière, de la saleté, de la fumée de moteurs fatigués et mal réglés: il n'y a pas de ramassage public des ordures et les gens en font des tas qu'ils brûlent régulièrement, incluant des matières toxiques comme les sachets d'eau en plastique et autres, produisant des colonnes de fumée âcre; une circulation automobile chaotique avec des voitures qui vous foncent carrément dessus, vous n'avez qu'à vous enlever du chemin sinon gare à vous; une hygiène quasi-inexistante avec des eaux fétides à ciel ouvert, si vous y mettez le pied dépêchez-vous de nettoyer ça! La surprise du jour: l'électricité qui vient ou ne vient pas… parfois elle vient, les enfant crient de joie et elle s'en va aussitôt. Les moustiques tous les soirs, les maladies tropicales: la malaria, la fièvre typhoïde–dont je souffre actuellement (ici c'est tellement commun que c'est comme un rhume), la méningite, le choléra, etc. Mais comme on dit en anglais "ce qui ne vous tue pas vous rendra plus fort." Ce n'est pas un pays pour ceux qui ne tolèrent pas l'inconfort.
Mais c'est un paradis pour les libertaires, les gens font ce qu'ils veulent, plantent n'importe quel commerce là ou ils veulent, construisent leur maison où ils veulent, comme ils le veulent. Il n'y a pas de normes de construction ou environnementale, pas de contrôle de pollution, pas des protection contre les pratiques abusives et 90% ne payent aucune taxe. Quoique le gouvernement actuel s'efforce de lutter contre la corruption, on peut souvent acheter la justice, la police et les gens nantis sont pratiquement au dessus de la loi.
Mais le côté le plus corrosif est l'extreme pauvreté qui règne. Il est difficile à un occidental tel que moi-même, habitué au confort moderne et à l'abondance d'en percevoir la profondeur. Nous, nous avons le luxe de penser à nous réaliser dans la vie, être artiste, musicien, écrivain, réalisateur de cinéma, penseur, voyageur, architecte, médecin, danseur, créateur de tout acabit, de "se chercher." Il est sûr qu'il y a des gens qui pratiquent toutes ces activités en Guinée mais largement les guinéens ont une principale préoccupation: comment va-t-on manger aujourd'hui? Sans parler de payer le loyer, s'habiller et acheter les médicaments quand ils sont malades. Cela crée une mentalité centrée sur les choses essentielles et intolérante de la légèreté et la stupidité et dans des cas plus avancés, une insensibilité à la souffrance d'autrui et la méchanceté.
Partout où je passe on me dit "foté" (blanc).* Des fois c'est gentil, des fois moins. Je me dis: ça fait 500 ans que les blancs viennent en Guinée et ils ne sont pas encore habitués? mais je m'aperçois qu'ils n'en connaissent pas personnellement. On en voit déambuler ici et là, mais la plupart n'ont pas l'air trop sympathique. En général les guinéens ont la notion que nous sommes riches, que l'argent nous sort par les oreilles et il est vrai que notre niveau de vie moyen représente un rêve impossible pour eux. Ils veulent tous, ou presque, partir en Europe, aux USA ou au Canada (que beaucoup voient comme le meilleur pays du monde). Mais cette voie leur est de fait complètement fermée. Nous, on paye un peu d'argent et on obtient un visa pour leur pays en quelques minutes, pour eux les démarches sont impossiblement difficiles et onéreuses. Quand ils nous voient ça leur rappelle ces injustices.
Malgré tout, les guinéens sont, en grande majorité, polis, souriants et enjoués. Il est très facile d'entrer en conversation ou de blaguer avec eux même si on ne les connait pas et sont de nature spontanée. Bien que certains ne relativisent pas et me considèrent comme une grande chance qui passe, comme si Stephen Spielberg apparaissait dans votre salon!
Il y a tellement de besoins qu'on a tendance à se renfermer et se protéger et à devenir pas trop sympathique, une tendance que je m'efforce de résister. Quand même, il serait dangereux d'être trop gentil avec tout le monde.
Au point de vue artistique je considère que mon expérience est un succès. En quatre mois j'ai réussi à amener une dizaine d'enfants qui ne connaissaient rien de la flûte à jouer sur toute l'étendue, à leur donner un répertoire d'une douzaine de morceaux mais surtout à leur communiquer l'amour de l'instrument. Ils ont acquis une base de connaissance en lecture musicale et bien qu'ils ne sont pas trop rapides, ils peuvent déchiffrer un partition simple. De plus ils jouent suffisamment bien pour se produire en concert et enregistrer. Ils font des solos improvisés et peuvent jouer dans deux tonalités.
En plus, les contacts que j'ai eu avec des artistes et le public furent très encourageant, on m'apprécie beaucoup… ça n'est pas aussi évident de l'autre côté de l'océan!
Donc je vais bientôt revenir avec beaucoup de bagage à trier (une métaphore), un CD à produire, un film à monter et des flûtes à livrer. Ça va prendre du temps et du travail mais dans l'immédiat du moins, mon inspiration sera multipliée et je vous recommande de venir écouter mes prochains concerts.
Dernières salutations de Guinée avant mon retour mes chers supporters et amis. Merci infiniment de votre aide et de l'intérêt que vous portez à mes activités.
Allah barka (Dieu merci). Sylvain
* le terme s'applique aux étrangers en général et n'a pas de connotation raciale.
PS: je voulais vous présenter un joli petit video d'une cérémonie de mariage Baga mais ma connection Internet ne me l'a pas permis. Ce n'est que partie remise...
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